Épure et Textures - Rencontre avec Delphine Dugué de Matmae Céramique

Épure et Textures - Rencontre avec Delphine Dugué de Matmae Céramique

En visite dans le Val de Loire, j’arrive à Montsoreau, charmant village sur les bords de la Loire ; la petite cité, rassemblée autour de son château du XVème siècle, rendu célèbre par Alexandre Dumas dans son roman « La dame de Monsoreau », se laisse découvrir au gré de ses ruelles fleuries aux maisons en tuffeau blanc coiffées d’ardoises et de ses chemins verts menant aux vignobles du Saumurois. À l’entrée du village, on retrouve la très jolie boutique-atelier de Delphine Dugué de Matmae Céramique.

Allons lui rendre visite…


                                

 La boutique lumineuse à l’ambiance zen présente les différentes facettes du travail de Delphine : Les grandes bouteilles en grès blanc au col élancé, les vases-boules, les séries de tasses et coupelles en grès chamotté, les pièces spectaculaires, saladiers ou vases, aux émaux finement travaillés ; le tout cohabite en parfaite harmonie avec les magnifiques laques de Thibauld Mazire qui semblent dialoguer avec la matière céramique.

  • Delphine, pouvez-vous vous présenter ?

J’ai 47 ans, bientôt 48. J’ai toujours aimé tout ce qui est créatif, depuis que je suis toute petite. Je suis partie dans des études très conventionnelles, afin d’avoir un métier stable; j’étais donc technicienne de laboratoire. Je travaillais en milieu hospitalier. Mais en parallèle, je n’ai jamais cessé d’avoir des activités manuelles (couture, peinture, bijoux etc..). Arrivée vers 38-39 ans, j’ai eu un petit accident de la vie, avec une maladie qui m’a forcée à m’arrêter de travailler pendant deux ans. C’est là que j’ai commencé à me dire qu’il était temps de commencer à s’écouter un peu plus ; je suis arrivée à la céramique assez naturellement… J’ai toujours eu un intérêt pour la céramique… Petite, en vacances avec mes parents, j’allais toujours voir des céramistes, j’avais déjà une attirance !

Un jour, mon mari m’a offert un cours d’initiation au tournage pour la fête des mères et là, je me suis dit, mais c’est génial, c’était comme une révélation… J’ai rapidement commencé à prendre des cours, j’avais pris un carnet de dix séances, et je me suis vite rendu compte que j’avais envie de faire ça. Je me suis inscrite à des cours en loisir ; je me suis posée beaucoup de questions, réalisé un bilan de compétences avec une personne exceptionnelle qui m’a vraiment fait avancer dans mes choix de vie et puis, je me suis lancée, j’ai démissionné de la fonction publique et j’ai commencé une formation.

J’ai réellement commencé mon activité de céramiste en 2019 et j’ai ouvert cette boutique en 2021.

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  • Vous avez grandi dans un environnement artistique ?

Non, pas du tout ! Mes parents n’étaient pas forcément sensibles à l’art, ils ne nous emmenaient pas au musée… Maintenant ils sont beaucoup plus sensibles aux métiers d’art parce qu’ils se rendent compte de ce que c’est !

  • Comment êtes-vous devenue céramiste ?

J’ai commencé ma formation alors que j’étais encore dans le Nord, auprès d’un ancien potier qui faisait des formations et qui avait un magasin de vente de matériel. J’ai d’abord fait une formation d’1un an. J’ai privilégié le modelage parce que je trouve que cela offre plus de liberté dans la construction de la pièce. J’aime bien le tournage aussi mais je ne souhaitais pas partir dans tous les sens. Mon but premier n’était pas de faire de la vaisselle, mais plutôt des grandes pièces. Donc le modelage était beaucoup plus approprié.

  • Au cours de votre formation, avez-vous rencontré des céramistes qui vous ont inspirée ?

Oui, il y a notamment Corinne Dorlencourt, une céramiste dans le Nord ; j’aime beaucoup son travail ; j’ai fait plusieurs stages chez elle. On s’entend très bien et on est toujours en contact. C’est un peu comme ma marraine. Il y a un lien fort entre nous qui est resté et je la tiens au courant dès que je fais une expo. Quand je retourne dans le Nord, je passe souvent la voir.

  • Vous continuez à vous former aujourd’hui ?

J’aimerais bien… Mais cela a un coût… En ce moment, je fais des formations avec les ateliers d’Art de France, mais qui sont plus liées aux tâches administratives qui vont avec le métier de céramiste. Je devais faire une formation émaillage avec Charles Hair, un grand maître de l’émail qui n’est pas loin d’ici, mais c’est tombé à l’eau car c’était au moment du Covid, puis nous n’avons pas retrouvé de dates. Entre temps, ma technique a évolué, je travaille plus avec les engobes… Mais j’aimerais beaucoup prendre le temps de me former à de nouvelles techniques.

  • Qu’est-ce qui vous plait dans le métier de céramiste ?

J’aime beaucoup le modelage en tant que tel, quand je n’ai pas les mains dans la terre en train de monter une pièce, j’ai l’impression de perdre mon temps, ou de ne pas travailler ! Je fais aussi de l’émaillage, mais la partie administrative, traiter les commandes, c’est ce que j’aime le moins. J’aime le contact avec la matière, c’est là où je prends le plus de plaisir, les mains dans la terre…

  • Pouvez-vous nous parler des objets que vous créez ?

Pendant ma formation, j’ai rapidement commencé par faire des grandes pièces, on pouvait laisser libre cours à son imagination, pour faire les pièces qui nous plaisaient. Après le formateur nous aidait, nous donnait les clés pour réussir techniquement là où ça coince. Je n’ai pas eu de formation académique avec des sujets imposés, c’est moi qui faisait la pièce que je voulais et très rapidement, j’ai fait des grandes pièces, des vases carrés un peu tordus. J’aime bien le défi technique que cela représente. Je ne me verrai pas tourner des tasses toute la journée !

  •  Comment s’organise votre production ? Vous créez des collections ?

Je travaille plusieurs terres : une terre blanche, une terre noire et j’ai deux terres grises. Je travaille aussi un peu la terre rouge, mais pas beaucoup. Quand je travaille la terre noire, je fais toute une série avec cette terre, c’est un peu selon l’envie du moment. Par exemple, lorsque je prépare un marché, je veille à avoir plusieurs terres à proposer, visuellement, c’est plus intéressant.

Je travaille beaucoup selon les envies ; si j’ai une pièce en tête, je réfléchis à ses finitions pour voir quelle terre sera la plus appropriée. Je dessine très rarement, ce sont plus des envies qui prennent forme dans ma tête. Quand je pars d’un croquis, la pièce finale ressemble rarement au dessin de départ ! J’ai donc une idée en tête et puis quand je suis en train de modeler, je fais des essais et la pièce évolue. Quelquefois, l’idée vient en voyant la pièce, j’ai envie de la modifier et le résultat est différent de ce que j’avais en tête.

  • Pourquoi avoir choisi le grès ?

Je n’utilise que le grès car c’est le plus adapté à ma technique. J’aime bien la porcelaine, mais difficile de travailler au colombin… Un jour, peut-être… En revanche, la faïence ne m’a jamais attirée.

  •  Peut-être parce que vous ne produisez presque pas de pièces de couleur ?

Oui, c’est vrai. J’ai fait un peu d’émaux de couleur, j’ai cherché dans les roses, les verts, les bleus… J’ai travaillé un peu le bleu sur une collection, j’aime bien le bleu mais j’ai du mal à trouver le beau bleu qui me plait… Mais finalement, peut-être que la couleur ne fait pas partie de mon identité, j’ai essayé mais je n’étais pas convaincue ; je préfère rester sur ce qui me plait. Je pense que l’on fait de belles pièces quand on les fait avec le cœur. Quand on fait une pièce à contrecœur, ce n’est jamais réussi, ça se ressent dans la pièce.

  • Utilisez-vous vos créations au quotidien ?

J’ai quelques-unes de mes pièces à la maison, parce qu’on me le demande. C’est ma fille qui tient à utiliser mes assiettes, mais moi je préfère utiliser d’autres pièces… Je les vois tout le temps mes pièces, quand je rentre à la maison, je n’ai pas forcément envie de revoir les mêmes choses. Je préfère les pièces des autres. J’aime bien acheter sur les marchés auxquels je participe.

  • Quelles actions menez-vous pour donner à votre production artisanale un impact environnemental positif ?

Je fais très attention à ça : j’optimise le positionnement des pièces dans le four pour effectuer des économies d’énergie, c’est comme un vrai Tétris ! Quand j’émaille une pièce, si j’ai un surplus d’émail sur la pièce, je le gratte et le récupère pour le réutiliser, pas de perte, c’est tout un tas de petits gestes… J’ai un bac à décanter pour éviter que les résidus partent dans les égouts directement. J’essaye de faire attention aussi aux matières que j’utilise… ce n’est pas évident mais je veille à la provenance de mes terres. C’est un vrai souci car certains filons s’épuisent ou certaines terres finissent par perdre en qualité, avec des pièces qui cassent par exemple. En ce moment, j’expérimente le grès de St Amand, pour essayer de travailler quelque chose de plus proche de chez moi.

  • Quelles sont vos techniques de travail : tournage, modelage, coulage… Pourquoi ?

Je travaille principalement au colombin, à la plaque pour les assiettes ou un mix de plaque et de colombin. Mon travail est vraiment guidé par le colombin ; les colombins se superposent, je les guide mais ils me proposent aussi une forme, une ondulation que j’accepte, ou pas… Je pars avec une idée en tête mais parfois ce qui nait sous mes doigts m’inspire une autre forme ou bien me plait tel quel. C’est vraiment le moment que j’aime le plus, je me laisse porter, un moment intime avec la terre…

J’aime le rendu du travail des colombins, cela prend beaucoup de temps, déjà à monter et aussi parce que j’affine beaucoup mes pièces. Pour les petites coupelles, je fabrique des moules en plâtre.  Forcément quand on passe énormément de temps sur une pièce, le prix s’en ressent. Pour les petites pièces, j’essaye alors de trouver des solutions pour aller plus vite pour ne pas avoir de prix trop élevés…

À côté du modelage, la recherche de textures nouvelles est aussi très importante dans mon processus.

  • Aujourd’hui vous définissez-vous comme artisane, designer, artiste… ?

Designer, non ! Certaines de mes pièces sont plutôt artistiques, mais je n’ose pas me définir comme artiste, pour l’instant peut-être plus artisane, ou quelque part entre les deux ! Après si je pouvais ne faire que de grosses pièces artistiques, je serais très heureuse ! J’adorerais faire du mobilier en céramique, j’ai ça dans un coin de ma tête et cela mûrit doucement ; il me faut trouver le temps ! Je pensais avoir du temps l’hiver dernier pour expérimenter et puis j’ai une commande pour un restaurant qui est arrivée, et puis, il faut préparer les marchés… Les journées ne sont pas assez longues !

Je discutais de cela avec une collègue céramiste, il faut produire pour gagner de l’argent mais on aimerait se dégager du temps pour un travail plus artistique.

  • Est-ce que du coup, vous découpez votre année en plusieurs périodes ou cycles ?

En fait, je suis tout le temps en production ! Les marchés sont plus concentrés sur la période printemps-été, mais je n’en fais pas tant que ça car il y a de plus en plus de céramistes et c’est compliqué d’avoir des places. Là, j’en ai trois de prévu sur les mois qui viennent, seulement trois mais ce sont de beaux évènements donc je suis contente. Depuis le début de l’année, je travaille sur une commande de restaurant et en même temps, je prépare des pièces pour les marchés. Il faut aussi que j’approvisionne la boutique et répondre aux commandes spéciales de mes clients…

  • Qu’est-ce qui vous inspire ?

Je me rends compte que j’aime beaucoup la céramique japonaise, un style épuré, simple, dans les formes.  Pour les textures, l’inspiration peut venir d’observations que je fais dans la nature ; par exemple, dernièrement, je me suis rendue en Auvergne et j’ai été frappée par du lichen sur un bout de bois ; les textures craquelées, bulleuses etc… m’interpellent… les mousses aussi m’inspirent particulièrement. C’est difficile d’identifier précisément ce qui m’inspire, c’est un mélange de plein de petites choses… Par exemple, mes premières grandes bouteilles longilignes sont nées après avoir vu une exposition de Giacometti…

  • Est-ce que vous avez l’occasion d’échanger avec d’autres céramistes ?

Oui, notamment sur les marchés, on échange beaucoup. Il y a des liens qui se créent ; on se prodigue des petits conseils ; cela fait du bien d’échanger car nous sommes un peu tous enfermés dans nos ateliers. Je suis chanceuse d’avoir cette boutique accolée à mon atelier, ce qui me permet d’avoir un retour direct de mes clients.

  • Quelle est la partie la plus difficile pour vous dans ce métier ?

La vente, savoir expliquer son travail… La création vient naturellement et ce n’est pas toujours évident de l’exprimer par des mots.

 

 

  • Pouvez-vous nous expliquer votre collaboration avec le restaurant Maison Nipa ?

En septembre 2021, Jason et Sharon Le Glatin m’ont contactée car ils étaient en plein projet d’ouverture de leur restaurant à Fillé-sur-Sarthe, près du Mans. Ils souhaitent travailler au maximum avec des artisans et producteurs locaux, c’est une valeur importante pour eux. En recherchant la liste des céramistes dans la région Pays de La Loire, ils ont découvert mon travail qui leur a tout de suite plu, et sont venus me rencontrer à l’atelier. Nous avons échangé sur leurs besoins, leurs envies, ce qu’ils aiment comme couleurs, formes… En fonction des modèles présentés à l’atelier, nous avons imaginé ensemble toute une série de vaisselle, allant de l’assiette au saladier, au gobelet… 

J’ai réalisé environ 500 pièces pour l’ouverture de leur restaurant en mars 2022.

Nous échangeons par téléphone ou en direct, environ 2deux fois par an lors des livraisons de pièces, nous échangeons sur de nouveaux modèles possibles. En mai, 2deux nouveaux modèles ont été livrés, et un nouveau est en projet pour la fin d’année.

Ils me font des demandes en fonction de leurs besoins où s’ils voient une pièce à l’atelier qui les inspire. Et moi aussi, en fonction de nos conversations, je peux leur proposer un complément de gamme.

Jason et Sharon viennent généralement chercher les commandes et cela les inspire pour de nouveaux modèles.

J’aime découvrir la façon dont ils utilisent mes créations et le rythme de production que nous avons trouvé. Je travaille pour eux plutôt à la rentrée et l’hiver, moments plus calmes pour moi. Ils complètent régulièrement la gamme et font du réassort quand c’est nécessaire. Ils ont de très bons retours sur leur vaisselle et cela nous fait très plaisir !

Retrouvez une sélection des plus belles créations de Matmae Céramique à la boutique TABLE & CRÉATION (Paris 17ème) ou sur le site tableetcreation.com dans notre vaisselle céramique artisanale : Plats céramique et vases artisanaux.

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