Article rédigé par Carla Pinto
Avez-vous la main heureuse, la main verte ou la main sur le cœur ? Mais peut-être avez-vous un poil dans la main ? Quoi qu’il en soit, n’oubliez pas : « jeu de main, jeu de vilain ! » Très présente dans de nombreuses expressions et dictons populaires, la main est un « outil » aux performances inégalées. Dotée de créativité et d’expressivité, elle occupe sans aucun doute une place à part dans le corps humain.
La main et le geste
Extrêmement polyvalente et fonctionnelle, la main est indissociable de l’activité humaine. Elle produit, fabrique, chasse, pêche, cultive, nourrit, crée et permet de se déplacer et de s’exprimer. Elle lit pour le non-voyant et parle pour le sourd-muet. Pour les autres, elle accompagne spontanément leurs propos et s’invite dans leurs conversations sous forme de communication non verbale, preuve que nous ne parlons pas qu’avec la bouche.
La langue des signes
Il est indéniable que la main est consubstantielle au geste, lequel peut traduire une infinité d’intentions et d’émotions : il peut tour à tour être religieux lors d’une prière ; politique avec le poing levé ; amoureux au travers d’une caresse ; sanglant dans la vengeance ou encore laborieux.
Composée de 27 os et de 21 muscles, la main est donc un organe prodigieusement développé, aux capacités multiples, tant mécaniques que sensorielles. Cependant, point de main adroite sans un cerveau aiguisé et comme l’a si bien exprimé Emmanuel Kant : « La main est la partie visible du cerveau ».
Schéma des os de la main
La main dans les arts
Pour les artistes, la main est à la fois l’une des parties du corps les plus difficiles à représenter et un outil indispensable à leur création. Quelle que soit l’époque, elle occupe une place importante dans de nombreuses œuvres artistiques.
Les plus anciennes représentations de la main appartiennent évidemment à l’art pariétal. De par le monde, plusieurs grottes arborent sur leurs murs des mains négatives et, plus rarement, des mains positives. À ce jour, il existe différentes hypothèses quant à leur signification, sans qu’une seule ait réussi à s’imposer. Le mystère demeure donc entier pour les Homo sapiens que nous sommes.
Mains peintes sur les parois de la grotte de las Manos, Santa Cruz, Argentine
À la faveur du geste créatif des artistes, la main témoigne de la pensée humaine et donne à voir son pouvoir métaphorique.
- Le pinceau de Michel-Ange nous invite à découvrir la puissance démiurgique de la main de Dieu lorsqu’il crée Adam (Création d’Adam, vers 1511).
- Celui d’Artemisia Gentileschi nous montre une Judith à l’air grave, mais aux mains fermes et déterminées lorsqu’elle décapite Holopherne (Judith décapitant Holopherne, 1613).
- Tandis que celui d’Élisabeth Vigée Le Brun nous invite à partager l’amour et la tendresse qu’elle porte à sa fille à travers la position de ses mains qui viennent renforcer l’expression de son visage (Madame Vigée le Brun et sa fille Jeanne-Lucie, dite Julie, ou la tendresse maternelle, 1786).
Détail de la Création d'Adam par Michel-Ange (Chapelle Sixtine)
Quant aux différentes études réalisées par Albrecht Dürer, Léonard de Vinci ou encore Auguste Rodin, elles mettent en évidence leur maîtrise dans l’observation et la représentation de ce fragment corporel pour le moins complexe : tous les éléments intrinsèques de la main — muscles, plis, ongles et articulations — y sont détaillés avec minutie, révélant ainsi leur fascination pour cet « outil » doué de force et de sensibilité.
Étude de main d'après Léonard de Vinci
La main de l’artisan, la main de l’artiste
En 2014, lors d’une interview accordée au Nouvel Obs, Pierre Soulages résumait parfaitement la principale différence entre l’artisan et l’artiste : « L’artisan sait toujours où il va, l’artiste, pas forcément ».
Il est d’usage de dire qu’un artisan produit des pièces utiles et pratiques, tandis que l’artiste crée des œuvres d’art qui procurent des émotions à ceux qui les regardent et à ceux qui les entendent. Ainsi, l’artisan sait où il va dès qu’il entame son travail ; il sait à quoi aboutiront ses heures de labeur. Mais qu’en est-il de l’artiste ? Sait-il à quoi ressemblera sa création une fois qu’il l’aura achevée ? Rien n’est moins sûr.
Pour autant, l’artisan et l’artiste ont plusieurs points en commun :
- c’est avec leurs propres mains qu’ils réalisent des créations qui ne sont ni standardisées ni produites en série. Chaque pièce est différente et unique, même si elle semble similaire à telle autre ;
- l’un et l’autre façonnent la matière avec conscience, grâce à des gestes précis et infinis ;
- ils ont tous les deux cette capacité à se renouveler en intégrant dans leur processus de création de nouvelles techniques et de nouveaux matériaux. Ils sont à la fois porteurs de savoir-faire et d’innovation.
Qu’il soit artiste ou artisan, leurs gestes sont assurément précieux. Raison pour laquelle de nombreuses fondations se sont engagées à leur côté. À titre d’exemples, citons :
- la fondation Bettencourt Schueller et la fondation Rémy Cointreau qui soutiennent et accompagnent l’artisanat et les métiers d’art, ainsi que la transmission des savoir-faire, véritables antidotes à la standardisation qui affecte tant d’univers ;
- la fondation Henri Cartier Bresson, la fondation d’entreprise Hermès ou encore la fondation Colas qui œuvrent au développement de la création artistique et participent à l'émergence ainsi qu’à la promotion des artistes.
S’agissant plus précisément de l’artisanat, il est un autre soutien essentiel qui ne cesse de s’affirmer depuis plusieurs années : il s’agit de celui des consommateurs qui plébiscitent de plus en plus le « fait main », que ce soit le « fait main » de l’artisan boulanger, le « fait main » de la créatrice de céramique ou encore le « fait main » du maître cirier ; preuve que le travail de ces dépositaires de savoir-faire uniques est synonyme de qualité et d’authenticité.